Affaires Etrangères

Extrait d’Affaires Etrangères

Résumé :

Un diplomate chinois doit remettre un manuscrit ancien à la descendante à laquelle il revient. Comme le rendez-vous est ajourné, il décide de lire le manuscrit et toute sa vie en sera bouleversée.

 

Extrait :

Aux premières gorgées de scotch, je ressentis instantanément toute la beauté sensuelle de mon existence. Fabuleux paradis éphémère, excluant tout attachement. Il m’apparut que bien souvent des souvenirs venaient me hanter, ainsi qu’il auraient voulu me faire savoir par vengeance, qu’ils ne me laisseraient jamais tout à fait libre de ne pas avoir aimé. J’avais abusé de luxure avec tant de femmes qui succombèrent à mon charme, que je réalisais avoir chéri autant d’en être désiré que détesté. Moi, qui croyais à ces heures n’avoir qu’à jouir que de mon temps, comme d’une pierre philosophale à mon nom. Plus le temps a passé, et plus mes conquêtes ont été nombreuses. Je plongeais soudain dans un état d’esprit douloureux, et décidais de me confier au barman dont j’étais l’unique client. Il se pencha vers moi en essuyant les verres. Je lui avouais sans détour que je désirais faire une mise au point de ma vie amoureuse. Mais contrairement à mon souhait, je commençais par vanter mes exploits. J’évoquais la sublimissime ambassadrice saoudienne rencontrée au congrès mondial de pétrole à Doha. Sa chevelure m’envoûta au point, de ne plus jamais désirer aucune autre femme affublée d’une telle parure. Frissonnante de tout son corps, ses ongles teintés noire-cerise s’enfonçaient dans mon échine quand mes mains se rivaient sous sa jupe. Quel ravissement me donna le tintement des fines perles brodées de ses sous-vêtements qui déferlaient sur le sol. Je bus de lentes gorgées, comme si la beauté de cette évocation ne devait pas rester ma seule ivresse. Je parlais ensuite de ma passion pour une étudiante, dont la jeunesse m’attira dans ses corsages un peu punk. Nous étions souvent pris tout deux d’accès de fous-rires, tels que les auraient partagés des frères et sœurs. Je bus cul sec, et glissait mon verre vide d’une main à l’autre, déroulant entre mes doigts le film de nos ébats amoureux. Je ne pouvais me décider de sceller nos plaisirs prodigués l’un à l’autre. L’éclat de sa bouche, et la douceur de sa nuque abandonnée, Danaé de Rodin, mémoire indéfectible de nos membres accordés à l’infini. Je réclamais la bouteille de whisky sur le bar pour me servir un autre verre, aux doux rappels de mes extases. Je poursuivis ma dérive par l’interminable partie que j’avais spécialement interprétée pour une femme imprenable, une femme mariée dont les poignets délicats m’émouvaient tant. Ceux que je tins sans trop les serrer, quand elle voulut m’arracher la vue de sa jouissance au-dessus de moi. Je retrouvais au matin, le bijou que je lui avais offert dans la savonnière, pour la seule nuit qu’elle consentit à me donner. Je n’évoquais pas ce détail, trop fier d’être le héros de ce barman qui salivait. Il me questionna :

Et des femmes célèbres, vous en avez connu ?

Mais naturellement jeune homme ! J’aurais même pu faire la première page des grands magazines ! Je ne peux divulguer leurs identités, vous comprenez ! L’une d’elles, chantait sous sa douche comme sur scène. C’est à ce moment-là, que j’adorais la surprendre pour l’honorer, et quand elle jouissait en se mordant les lèvres, les bras en-dessus de sa tête, ses yeux étaient comme la mer.

Je le priais de me servir un double whisky pour lui révéler l’aventure que j’avais eue avec cette déléguée française du haut-commissariat de l’Intérieur. Elle excellait dans son domaine professionnel, constamment entourée par ses gardes du corps, qui m’auraient certainement abattu s’ils avaient su que je leur avais dérobé la femme qu’ils auraient dût protéger. Séduite par mes compliments, elle m’avait suivi jusqu’aux escaliers de secours de l’ambassade. Plantée sur ses hauts talons, elle avait plaqué mes deux mains sur ses petits seins, sertis dans sa robe de haute couture Saint-Laurent. Sa bouche glissante, nous poussa jusqu’à son hôtel. Je l’ai aimé en laissant ses jarretelles en haut de ses cuisses, qui s’ouvrirent à moi comme les deux ailes d’un oiseau.

– Je suis parti à l’aube, sans un au revoir ! Je suis un romantique, monsieur !

   L’alcool commençait à me faire mentir. Elle m’avait giflé devant les toilettes des femmes où je l’attendais. Je m’étais ensuite rapidement esquivé par la porte de secours sans réapparaître de la soirée. Je croisais ces femmes nées amantes et corps solitaires qui me ressemblaient, jusqu’au jour, où, j’ai confondu deux prénoms. Régina était Sophia. Elles se sont trouvées dans la même réception. Le mari de l’une était à côté de l’autre, quand je me suis égaré. Après avoir déclenché ce désastre, j’ai bien cru que le ciel allait me tomber sur la tête. Je me suis discrètement échappé dans la pénombre en traversant le grand parc des Hollandais. Cet épisode m’a décidé à ne plus séduire les femmes au travail, même s’il m’avait rapporté jusqu’ici, tous mes succès. Je n’ai naturellement jamais fleurté avec le personnel, même si l’une d’entre elle aurait pu être Cinderella. Je lançais :

Je vous la laisse !

Comment pouvais-je ainsi rudoyer ce serveur, alors que son clame semblait émaner d’une plus grande sagesse que la mienne. Le pauvre garçon ne m’écoutait plus depuis longtemps. Il me détestait certainement avant que je ne lui adresse la parole, et mes confidences ont dût conforter sa haine de l’homme superficiel que j’étais à outrance ! Comment pouvais-je prétendre au titre de diplomate ? Cette prise de conscience soudaine eut pour effet de m’arracher définitivement à mes illusions. J’avais toujours su si parfaitement ignorer les conséquences de mes actes en me convainquant que mon rang suffisait à tout excuser. Quel beau salaud j’étais ! Je bus un dernier verre à mes amours, comme si j’allais leur dire adieu pour toujours. Avais-je rêvé de connaître toutes les femmes de tous les pays du monde ? Insensé ! Pauvre laquais étais-je dans le fabuleux conte d’aimer. Laquelle aurais-je préféré? Laquelle aurait pu remplacer l’autre? Ou dépasser en beauté toutes celles qui se perdirent avec moi, dans ces suites d’hôtels sans suite. Mais je sais que je ne connaîtrai jamais la belle gitane au rire de verre, qui portait ses chaussures en marchant pieds nus le long du fleuve où plongent les oiseaux. Comme je préférais aujourd’hui, avoir rêvé le dos collé au siège d’un cinéma, à l’idéal féminin dans la pureté du grand écran, en me laissant flotter à la lecture des formes de son corps et de son visage. Faire comme le commun des mortels, anonyme pur, assis devant les projections de mes rêves d’enfant, à mes rêves d’adolescent, de mes rêves d’homme, à mes rêves de père. Mes paupières se fermèrent de façon viscérale, empêchant mes larmes de tomber. Je les sentis fondre le long de ma gorge, acerbes et misérables. Je ne pouvais plus que balbutier tant j’étais noué, de savoir que je ne savais pas. Je finis mon verre où flottaient encore quelques pauvres glaçons, comme preuve tangible du naufrage de mes amours éphémères, et je ne sais alors quelle force me poussa en silence à demander pardon.